Le retour au Japon
par le Révérend Yukai
Sur l’ordre de l’empereur, il séjourna au temple de Takaosanji au Nord de Kyoto, où il commença à donner les enseignements du Shingon. Durant cette période, de graves troubles politiques secouèrent le pays, et Kûkaï fit des cérémonies pour apaiser la guerre civile. A trente six ans, il reçut la permission de l’empereur, de fonder l’école Shingon. Il en résume les points caractéristiques ainsi :
"Le Shingon est l’enseignement le plus profond et le plus élevé de toutes les écoles du Mahayana. Il se consacre a assurer la paix du pays par la prière, a sauver tous les êtres en chassant les malheurs et en apportant les bonheurs, et même les bonheurs de ce monde. Son idéal, c’est devenir Bouddha, dans cette vie, avec ce corps, ce qui signifie vivre dans la vérité". A cette période, il initia le moine Saïchô et quelques uns de ses disciples, à la cérémonie d’onction et de consécration appelée "Kanjô". Saïchô était resté seulement neuf mois en Chine et dès son retour au Japon, il fonda l’école Tendaï au mont Hieï. (La doctrine Tendaï, était un ésotérisme mêlé d’enseignements non ésotériques reposant principalement sur le Sûtra du Lotus). Il présenta aussi à l’empereur Kanmu, un recueil de ce qu’il rapportait, et son succès vint en partie du fait qu’on considéra que l’ésotérisme était une partie intégrante de sa doctrine. En fait, il n’avait pas reçu les enseignements les plus profonds et plus tard il demanda à Kûkaï de lui transmettre certains livres pour structurer sa doctrine. Celui-ci accepta, refusant seulement de lui transmettre ce qui, à ses yeux, était la pure doctrine ésotérique et qui ne devait pas être mélangé à autre chose. A la mort de Saïchô, ses disciples retournèrent en Chine pour approfondir le Mikkyô, et donnèrent ainsi sa forme définitive à l’école Tendaï, qui représente actuellement au Japon le Bouddhisme semi-ésotérique. Le Bouddhisme était représenté à la période Héian (794-1192) par les six écoles de Nara et les deux nouvelles religions : le Shingon et le Tendaï.
En 813, l’empereur Saga invita les grands maîtres des huit écoles dans son palais, pour une discussion publique des mérites respectifs de leurs doctrines. Tous sauf Kûkaï, dirent que l’état de Bouddha demandait de très nombreuses vies pour être réalisé. Kûkaï donna l’essentiel de son enseignement à cette occasion.
Dans la discussion qui l’opposa aux autres écoles, il développa la pensée du Sûtra suivant :
"L’homme doit connaître son propre cœur tel qu’il est. Celui qui connaît l’origine de son propre coeur tel qu’il est, connaît le cœur des Bouddhas. Celui qui connaît le cœur des Bouddhas peut connaître le cœur de tous les êtres. Il peut connaître la Vérité de l’Univers et devenir un avec lui. Il peut devenir Bouddha dans cette vie avec ce corps. C’est l’état ou les trois sources du karma, du corps, de la parole, et de la pensée des hommes, deviennent un avec les Trois Secrets (sanmitsu), du corps, de la parole, et du cœur du Bouddha. Si l’homme cherche la Sagesse du Bouddha, et maintient constamment sa pensée en lui, il peut réaliser rapidement l’état de Bouddha avec ce corps né de ses parents".
Devant le scepticisme des autres religieux, il fit les gestes sacrés avec les mains (Shu-In), répéta les formules sacrées (Shingon), et médita (Kannen) sur le Bouddha Grand Soleil, "Daïnitchi-Nyoraï". A la surprise de tous, il manifesta un état de Samadhi très profond, son corps devint très lumineux et prit la forme du Bouddha, assis sur un lotus à huit pétales. Tous se mirent à le prier.
Kûkaï était non seulement un grand religieux mais aussi un homme fort cultivé, enrichi par toutes les connaissances qu’il rapportait de Chine. Une amitié réciproque naquit avec le nouvel empereur Saga, qui était également un homme de lettres et un éminent calligraphe.
En 816, il reçut de l’empereur la permission de construire un monastère sur le mont Kôyasan. Il avait reconnu ce site sauvage, lorsqu’ascète errant il pérégrinait à travers le pays. Situé à 850 m d’altitude, ce plateau entouré de huit montagnes évoquait pour lui le Royaume de la Matrice, le lotus à huit pétales où siège le Bouddha. Son isolement et sa végétation magnifique en faisaient un lieu privilégié pour la méditation, mais les travaux de construction rencontraient des difficultés dues au froid, à la neige persistante et à l’éloignement de toute autre habitation. Toutefois, petit à petit, un monastère s’édifia. Le temple fut appelé le sommet de Vajra, "Kongôbuji". En 832, Kûkaï célébra la cérémonie d’offrande de 10.000 lumières pour le bonheur de tous les êtres. En 834, commença la construction du stupa principal, Daïtô, sorte de temple reliquaire, haut de cinquante mètres, contenant des statues de Bouddha, ainsi que celle du Saïtô (stupa de l’ouest). Kôbô-Daïshi ne vivra pas assez longtemps pour voir l’achèvement de tous les projets qu’il avait conçus. Mais ses disciples continueront son œuvre et actuellement le Kôyasan est le centre le plus important du Shingon, célèbre dans tout le pays et visité chaque année par des milliers de pèlerins.
En 832, l’empereur offrit à Kûkaï un des deux grands temples de la capitale, situé à l’Est de Kyoto, le Tôji. Il consacra ce temple pour la protection spirituelle du pays, et en fit le temple siège du Shingon. Là, pour la première fois, une cinquantaine de moines étudiaient exclusivement la doctrine ésotérique. En peu de temps, d’autres bâtiments s’édifièrent et la construction d’une grande pagode à cinq étages (Gojû-no-tô) s’amorça. Sous sa direction, des artistes sculptèrent des statues pour exprimer les vérités essentielles de l’ésotérisme. Parmi les vingt et un chefs-d’œuvre qu’on peut admirer aujourd’hui, tous trésors nationaux, quatorze datent de cette période. Le Tôji reste aujourd’hui un des plus grands temples du Shingon où, au début de chaque année, les principaux grands maîtres du Shingon se retrouvent, et durant une semaine pratiquent des rituels pour la protection de l’empereur, du pays et de tous les êtres.
A cinquante huit ans, il tomba malade et dût se retirer des affaires publiques. Il retourna au Kôyasan pour se soigner et s’occuper de ses disciples. Cependant il obtint la permission de prier dans un temple du palais impérial, pour la protection du pays et la santé de l’empereur. Pendant sept jours, il pratiqua du 8 au 14 Janvier 835, les cérémonies du "Mishuhô" dont la tradition est toujours maintenue par les plus grands maîtres du Shingon au Tôji. Le 21 Mars 835, âgé de soixante deux ans, il entre dans le samadhi éternel. En 921, il reçut le titre posthume de Kôbô-Daïshi, le Grand Instructeur qui a répandu la loi.
Derrière le temple d’Okuno-in à Kôyasan, se trouve son tombeau ; mais les fidèles et les moines pensent qu’il est toujours vivant et qu’il veille sur eux. Son corps qui est resté intact est dit médité en attendant la venue du prochain Bouddha Maïtreya. Malgré les siècles qui passent, il est toujours aussi aimé et présent dans les coeurs. Dans tout le Japon, des temples grands ou petits lui sont consacrés, tels ceux de Nishiaraï-Daïshi, Kawasaki-Daïshi près de Tokyo où toute la journée on lui rend un culte, et durant les rituels de feu, on invoque son nom pour qu’il exauce les prières. Un des lieux où on le prie le plus, est certainement son île natale de Shikoku. Un pèlerinage circulaire lui est consacré, quatre vingt huit temples principaux et vingt secondaires se répartissent comme les grains d’un chapelet sur la périphérie de l’île, atteignant ainsi le chiffre symbolique de 108. Chaque année, des millions de japonais s’y rendent pour prier et bénéficier de la grâce des Bouddhas, mais aussi car c’est un moyen incomparable pour se préparer à la mort et renaître au paradis près du Saint.
Namo Daïshi Henjo Kongo !
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