Komyo-In

samedi 9 janvier 2010



Histoire d'une rencontre et débuts dans la pratique (1)


C'est sur la scène d'un théâtre parisien, aux Champs-Elysées, que j'ai rencontré, un soir d'octobre 1974, celui qui allait devenir mon Maître et m'initier au Shingon, la branche ésotérique du bouddhisme japonais. J'étais venu assister à une représentation donnée par un groupe de moines en tournée à travers le monde. Face au public, devant un autel carré recouvert d'objets rituels et de tasses dorées qui scintillaient sous les feux des projecteurs, un moine en «kolomo» (habit) couleur vieil or dirigeait une cérémonie bouddhique du «Sutra de la grande sagesse». Il paraissait assez âgé et de son visage émanait une force empreinte de noblesse, une sérénité qui inspiraient le plus grand respect. La dignité de son maintien et la grâce de ses gestes étaient, à ne pas s'y tromper, ceux d'un grand Maître du bouddhisme. Autour de lui, disposés en forme de U, une vingtaine de moines, jeunes pour la plupart, chantaient le Shomyo, la liturgie traditionnelle. Dès l'instant où je le vis, je ne pensai plus qu'à le rencontrer.
J'entrais, je le sentais, dans une étape nouvelle, décisive, d'un processus qui avait commencé en moi depuis bien longtemps. Lorsque, à peine adolescent, j'admirais déjà la maîtrise de mon professeur de judo et, à travers lui, un Japon que j'idéalisais. Ou quand, au fil des années, je constatais que ni les philosophies acquises à l'école ni, plus tard, les études de médecine, n'arrivaient à satisfaire mes besoins de connaissances ni à étancher ma soif de sagesse. J'étais croyant, mais ce qu'on m'avait enseigné du christianisme ne me paraissait répondre que de manière imparfaite aux besoins spirituels de l'homme moderne. Peu à peu je me suis tourné vers l'Orient, puis vers le bouddhisme, plus particulièrement celui pratiqué dans ce Japon que j'admirais depuis mon enfance. Mais si j'ai choisi le bouddhisme japonais, celui-ci, j'en conviens, m'a choisi aussi en faisant intervenir le destin au bon moment. Tout d'abord lorsque, encore étudiant, j'ai rencontré une charmante Japonaise que j' ai épousée. Ensuite, le jour où j'ai découvert un livre consacré au Shingon: le «Dainitchi Kyo », de Tajima Ryujun. Je connaissais, à l'époque, de nombreux textes philosophiques et spirituels sur les religions orientales. Mais cet ouvrage fut pour moi une révélation. Je sentais qu'il contenait un enseignement solide, transmis de génération en génération et, bien que très ancien, particulièrement adapté aux conditions de vie de l'homme moderne. Enfin, lors de la venue à Paris d'un groupe de moines Shingon de Tokyo.

A la fin du spectacle, accompagné de ma femme comme interprète, je me précipitai vers les coulisses pour recevoir la bénédiction du Maître: Aoki Senseï, considéré au Japon - je l'appris par la suite - comme un trésor national vivant. Il nous reçut avec affabilité. Et cette rencontre changea le cours de notre vie. Dès le lendemain, nous le suivîmes en Belgique où le groupe de moines devait donner une représentation. Je n'avais rien trouvé de mieux à lui offrir qu'une belle statue de la Sainte Vierge achetée dans une boutique de la place Saint-Sulpice! En la recevant, Aoki Senseï la consacra « Bouddha de compassion». Cette Vierge orne toujours son temple de Tokyo. Ses fidèles s'imaginent qu'il s'agit d'une forme du Bouddha Kannon, protecteur des enfants... Après ce premier contact, depuis le Japon, en quelques lettres, le Maître nous conduisit peu à peu vers le chemin qui mène à «l'éveil du coeur de compassion». Cet enseignement est l'essence de la spiritualité japonaise. Il le résume en peu de mots: la reconnaissance à l'égard des autres et de l'univers tout entier. «Nous ne vivons pas seuls, dit-il, mais grâce aux autres. Notre vie est un don précieux qu'ils nous font. Aussi devons-nous cultiver un sentiment de respect et de reconnaissance non seulement vis-à-vis des personnes vivantes ou décédées à qui nous devons d'être là, mais encore pour chaque objet que nous utilisons, l'aboutissement de tant d'efforts. La vie est partout et dans chaque chose... »A peine ce chemin entrevu, je n'eus d'autre souci que d'aller rejoindre le Maître. Deux mois après avoir passé ma thèse de médecine, nous partîmes, ma femme et moi, pour Tokyo, avec l'intention de devenir moines Shingon tous les deux.
Bien que la majorité des moines soient des hommes, les femmes peuvent, en effet, être ordonnées. Rien n'interdit non plus aux moines de se marier. Jadis, le célibat était la règle. Mais celle-ci fut abolie il y a une centaine d'années. Pour plusieurs raisons: parce que le mariage, a-t-on pensé alors, permet d'éviter les excès et les dissipations qu'entraîne parfois le célibat. Mais aussi parce que, dans cette communauté très traditionnelle, la femme s'occupe de la maison et fait office d'hôtesse pour recevoir les visiteurs. La résidence familiale du Maître se trouve d'ailleurs toujours à côté du temple. Si bien que, par la force des choses, celui-ci devient une sorte de patrimoine qui se transmet de père en fils. Aoki Senseï lui-même, qui a aujourd'hui 93 ans, est marié. Il nous reçut très courtoisement à dîner dans son temple de la banlieue de Tokyo. A notre grande surprise, voulant nous faire plaisir, sa famille nous avait préparé... un boeuf bourguignon! Végétarien strict depuis dix ans, je fis néanmoins honneur au plat inattendu, tellement j'étais heureux de l'accueil. Il nous invita à le rejoindre quelques jours plus tard au temple du Tôji, à Kyoto. là où tous les grands maîtres du Shingon se réunissent une fois par an, au début de l'année, pour la cérémonie du Mishuho, où ils prient « pour la sauvegarde et le bonheur du pays»... Plusieurs semaines après notre arrivée, nous étions toujours dans l'incertitude à propos des intentions d'Aoki Senseï de nous faire entrer ou non dans la communauté Shingon. Ainsi que de celles des autres moines. Je pratiquais, certes, la méditation depuis longtemps. Mais ils devaient se demander comment un Français pouvait comprendre quoi que ce soit au bouddhisme ésotérique. Ce peuple insulaire, fin et cultivé, n'accepte pas facilement les «gaijins», les étrangers. Pendant ce temps, nous rêvions de méditations et d'ascèses, de sons de cloches et de symbolismes inconnus. Car nous en savions assez pour entrevoir, mais pas assez pour tout comprendre. Nous assistions journellement à des rites et à des cérémonials qui nous impressionnaient fort par leur faste. Pour les moines Shingon, l'esthétique a une grande importance. Le beau a un effet spirituel sur les êtres: l'esprit devient ce sur quoi il se concentre. C'est pourquoi les temples sont magnifiquement décorés et les gestes des officiants empreints d'une grande harmonie. Parfums, sons, mouvements, objets rituels... tout dans le temple tend à la perfection afin que l'esprit, à son contact, se purifie. Nous n'étions même pas des novices.

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